mardi 23 juin 2015

Affaires publiques, programmes et publics




Les enjeux sociaux et culturels contraignent les programmateurs à adapter la grille-horaire aux goûts des publics, et ce tout en considérant l'impératif du commerce et de la rentabilité. Le divertissement se taille une place de plus en plus importante sur nos écrans, l'information-spectacle s'impose dorénavant comme étant un modèle à suivre. Les émissions d'affaires publiques sont d'ailleurs fréquemment présentées sous forme de talk-show ou de débats à saveur sensationnaliste.

Deux logiques contradictoires ont forgé au fil du temps l'identité de la télévision au Québec: l'une définissant le média comme étant un service public et l'autre l'identifiant comme étant soumis à une logique commerciale. La logique commerciale a mené à travers l'histoire à l'homogénéisation des contenus dans un contexte où la compétition est de plus en plus féroce. Les programmateurs des chaînes de télévision généralistes préfèrent ne pas prendre de risques, ils usent donc de la contre-programmation mimétique au détriment du renouveau de leurs contenus. Malgré l'homogénéisation de la télévision, certains types de programmes échappent toutefois à la normalisation.

Les chaînes privées auront davantage tendance à adopter la logique commerciale dans leur programmation tandis que les chaînes publiques s'intéresseront davantage à la logique de services publics. Une différence observable à juste titre dans les différents contenus des émissions d'affaires publiques. Bien que toutes les chaînes tendent vers l'information-spectacle, les chaînes publiques présentent toutefois des émissions d'affaires publiques de type service public, tandis que les chaînes privées se contentent bien souvent de diffuser de l'information-spectacle suivant une logique commerciale.

  1. Analyse du contenu des émissions d'affaires publiques
              1.1  Format des émissions

En ce qui a trait aux émissions d'affaires publiques, on retrouve différents formats d'émissions tels que les magazines, les séries documentaires et les débats/entretiens.Une chaîne publique à vocation éducative présentera davantage de séries documentaires et d'émissions de services, tandis qu'une chaîne privée possédant un mandat de divertissement traitera les émissions d'affaires publiques de façon plus légère, avec des émissions de type débats/entretiens au coût de production moindre.

TVA met en ondes des émissions telles que Denis Lévesque et Mario Dumont , qui traitent des sujets d'actualités en passant par le sensationnalisme. Il s'agit d'un format d'émission de type débats/entretien. Radio-Canada présente des séries telles que L'épicerie , La Facture ou La semaine verte, qui sont des émissions de services. Le magazine Enquêtes qui est une émission de journalisme d'enquête à saveur sensationnaliste remporte un certain succès en raison de son potentiel de divertissement. En effet, Radio-Canada tend de plus en plus vers le divertissement en tentant de suivre la ligne directrice de son mandat éducatif. Second Regard et Découvertes proposent quant à elles des émissions thématiques et des séries documentaires beaucoup plus coûteuses à réaliser que les émissions de type débats/entretiens.

Télé-Québec qui est une chaîne publique à vocations éducative et culturelle présente des documentaires et des mini-séries documentaires. Le magazine de services Une pilule une petite granule propose quant à lui des dossiers sur différents sujets qui touchent la santé. Ça vaut le coût! est également un magazine de services qui traite de différents sujets visant à outiller les publics. Le code Chastenay est une émission de vulgarisation scientifique du même type que Découvertes. L'émission Deux homme en or est un format talk-show qui traite des affaires publiques tout en passant par le divertissement, comme quoi les télévisions publiques s'intéressent aussi à la logique commerciale.

1.2 Contenu des émissions

Le contenu des émissions d'affaires publiques varie donc d'une émission à l'autre et d'une chaîne à l'autre. TVA traite des questions politiques, économiques et sociales d'un point de vue relativement étroit puisque l'information y est traitée selon les opinions des animateurs. La chaîne n'a qu'un seul type de contenu en ce qui a trait aux émissions d'affaires publiques. Ces contenus sont basés sur une logique commerciale, donc la chaîne présente des émissions dont la forme importe davantage que le contenu. Les émissions d'affaires publiques de TVA sont calquées sur certains programmes de radio populaires où un animateur enflammé commente l'actualité selon sa propre perception des événements.

Radio-Canada présente quant à elle des programmes sur les questions pratiques, la chaîne touche également aux sciences et technologies ainsi qu' aux découvertes du monde et de la nature. En somme, son offre est beaucoup plus riche que l'offre de TVA en raison de son mandat éducatif. Elle se base davantage sur une logique de service public mais elle demeure sensible à la logique commerciale dans l'élaboration de ses contenus.

Télé-Québec présente aussi des programmes sur les questions pratiques et les sciences et technologies, elle traite également des questions politiques, économiques et sociales. Elle se base peu sur la logique commerciale, phénomène plutôt rarissime dans le milieu télévisuel actuel. Bien sûr la chaîne doit compter sur ses annonceurs pour survivre, or ses contenus se basent principalement sur la logique de service public. C'est pourquoi ses programmes sont plus riches et variés en général que ceux présentés par les autres chaînes.

1.3 Public cible visé

Les chaînes de télévision généralistes telles que TVA et Radio-Canada visent un large auditoire en raison de la logique commerciale qui les affecte davantage; nonobstant leur mandat de départ. La compétition de plus en plus féroce, la multiplication des chaînes et l'avènement du web contraignent les chaînes publiques à se prêter à la loi du commerce. C'est pourquoi le public cible visé par les chaînes généralistes est le ''grand public''. Télé-Québec détient quant à elle un mandat spécial d'éducation par rapport aux jeunes publics, mais elle présente également plusieurs émissions qui s'adressent à un public plus large. '' Télé-Québec reconnaît le besoin des enfants et des jeunes de se voir et de se retrouver dans des émissions de télévision. Ainsi, la programmation pour enfants et adolescents occupe une place privilégiée dans sa grille horaire. La titulaire souligne que pour l’année de radiodiffusion 2007-2008, la programmation jeunesse de Télé-Québec comptait pour un peu moins de la moitié de sa grille de programmation .'' (Décision de radiodiffusion CRTC 2009-444, juillet 2009, art. 3)

En somme les grille-horaire des télévisions généralistes sont toutefois conçues de façon à rejoindre la masse; et ce afin d'accroître les profits. Télé-Québec est toutefois moins sensible à cette logique commerciale puisque son public -cible et son mandat diffèrent. Mais quoi qu'il en soit, les émissions d'information et d'affaires publiques s'adressent toujours au ''grand public''.

    1. Origine des productions

Les jeux télévisés et les émissions d'information et d'affaires publiques représentent l'essentiel des activités de production de TVA. ''Les Québécois francophones manifestent une nette préférence pour les émissions produites au Québec'' (Caplan, Sauvageau, 1986: 223-224) c'est pourquoi la chaîne produit des émissions dans ses studios; or peu de séries dramatiques dont les coûts de production sont très élevés y
sont produites. TVA préfère importer ce type d'émission des États-Unis pour un coût moindre. Cependant les émissions d'affaires publiques, pour intéresser les publics; doivent traiter des enjeux sociaux et culturels qui les touchent. C'est pourquoi ce type d'émissions est rarement importé.

Les choix du programmateur quant à la l'origine des productions de TVA sont donc basés sur une logique commerciale. Lors de son audience au Conseil de la radiodiffusion et télécommunications canadiennes à Ottawa le 26 avril 2012, Québécor Média a accepté un engagement à dédier 80% de ses dépenses en production à la programmation canadienne, or QMi est revenu sur sa décision le 20 janvier 2012: '' QMi a soutenu qu’aucune mesure réglementaire ne lui semble nécessaire pour veiller au soutien financier de la production d’émissions prioritaires afin de stimuler la création et la promotion du contenu canadien puisque le marché de langue française dicte en lui-même des seuils significatifs d’émissions prioritaires.'' (Décision de radiodiffusion CRTC 2012-242, avril 2012, art. 15)

Par ailleurs, une récente décision CRTC entend modifier la loi sur les quotas d'émissions canadiennes: '' L'organisme de réglementation fédéral a annoncé jeudi, à la surprise de plusieurs, que les réseaux canadiens de télévision n'auraient plus à présenter d'émissions produites au pays avant 18h. Auparavant, 55% des émissions présentées devaient être canadiennes.'' (Étienne Fortin-Gauthier, 15 mars 2015) Une décision qui risque d'avoir un impact négatif sur l'industrie télévisuelle au Québec, puisque les chaînes généralistes auront davantage tendance à faire l'acquisition d'émissions en provenance des États-Unis.

La SRC a quant à elle accepté le mandat du Conseil de la radiodiffusion et télécommunications canadiennes lors de son audience le 28 mai 2013: '' À l’heure actuelle, le Conseil s’attend à ce que la télévision de langue anglaise et celle de langue française consacrent au moins 75% de la journée de radiodiffusion et 80% des heures de grande écoute (de 19 h à 23 h) à des émissions canadiennes. Pour la prochaine période de licence, la SRC a indiqué être disposée à accepter que ces attentes deviennent des conditions de licence.'' ( Décision de radiodiffusion CRTC 2013-263 et Ordonnances de radiodiffusion CRTC 2013-264 et 2013-265, 28 mai 2013,art. 39)

Lors de son audience à Ottawa le 28 mai 2013, il a été proposé à la SRC de présenter 50% d'émissions en provenance de producteurs indépendants. ''La Canadian Media Production Association (CMPA) et On Screen Manitoba (OSM) déclarent que la condition de licence devrait préciser qu’au moins 50 % de la programmation devrait provenir de producteurs indépendants et mentionner la région d’origine.'' (Décision de radiodiffusion CRTC 2013-263, art. 33)

Radio-Canada produit également ses propres émissions d'affaires publiques. Ces émissions sont disponibles sur le site web de la chaîne, accessibles jusqu'à l'extérieur
du Québec. ''Les émissions disponibles sur tou.tv ne sont pas disponible hors du Canada en général, sauf celles qui sont produites par Radio-Canada, en particulier les
émissions d’affaires publiques.'' (Mathieu Durocher, novembre 2014, http://entraide.ici.radio-canada.ca/sujet/tout-tv-donc-t-il-au-usa/)
Il s'agit donc d'une partie importante de la programmation de la chaîne puisque ces émissions sont susceptibles de toucher un public plus large. La provenance des émissions de la SRC est basée tantôt sur une logique commerciale, tantôt sur une logique de service public.

Télé-Québec présente quant à elle des émissions qui proviennent en majeure partie de producteurs indépendants: ''Télé-Québec affirme que plus de 95 % de ses émissions proviennent actuellement du secteur de la production indépendante et indique qu’elle compte continuer à utiliser les services de producteurs indépendants dans les mêmes proportions pour la prochaine période de licence. '' (Décision de radiodiffusion CRTC 2009-444, art. 8) L'origine de ses productions est donc presque entièrement basée sur une logique de service public.


1.5 Fonction remplie par l'émission dans la programmation

L'information télévisée et les émissions d'affaires publiques répondent à un besoin des publics de se situer par rapport à leur environnement politique, économique, culturel et social . Les émissions d'affaires publiques commentent ou rapportent au moyen de reportages les actualités qui intéressent les publics. Toutefois, l'objectivité journalistique peut parfois être remise en cause dans la présentation de ce type de programmes.

Par exemple, TVA offre une programmation des émissions d'affaires publiques qui relève strictement de l'éditorial. Des animateurs commentent et exposent la nouvelle selon leur perception. En contrepartie, Radio-Canada et Télé-Québec font davantage preuve d'objectivité à travers leurs différentes émissions d'affaires publiques. L'information télévisée est toutefois manipulée la plupart du temps de façon à faire accepter aux publics la prédominance de l'hégémonie. En ce sens que le discours télévisuel est étudié de manière à faire accepter la domination politique et les intérêts des classes dominantes. La télévision vise donc à ''faire adhérer à une vision du monde'' à ''fabriquer un consensus social'' (Herman, Chomsky, 1988) et les émissions d'affaires publiques en témoignent.

  1. Contraintes sociales et programmation

2.1 Évolution des publics et des programmations

La télévision est apparue au Québec en 1952, et elle fût d'abord modelée sur les contenus radiophoniques qui présentaient à l'époque des émissions de divertissement tels que les soaps-opera , premiers balbutiements du divertissement dans le monde des médias au Québec. Au début des années 80, le public a commencé à développer de nouvelles habitudes de consommation avec le magnétoscope et la location de vidéocassettes.

Puis l'avènement d'internet est venu modifier à nouveau ces pratiques, si bien que les clubs vidéos sont en actuellement chute libre. '' Depuis 2008, plus de la moitié des clubs vidéo ont disparu au Québec. '' (Deux autres clubs Vidéotron ferment leurs portes à Québec, Jean-Michel Genois-Gagnon, Le Soleil, 25 janvier 2015) Aujourd'hui, on observe de plus plus en de contenu web calqué sur le mode de fonctionnement de la télévision. Des créateurs de contenus font appel à des annonceurs afin de rentabiliser leurs programmations dont le contenu diffère de la programmation télévisuelle régulière. Des chaînes de diffusion en streaming sur internet offrent donc aux publics des contenus de plus en plus spécifiques et variés. Les programmateurs de télé généraliste ont ainsi été contraints de s'adapter à l'ère du web.

La télévision a donc subi de multiples transformations depuis son apparition dans les foyers du Québec. La radio a initié la télévision qui était au départ basée sur une logique de service public. La mondialisation du marché de la télévision a ensuite apporté la multiplication des chaînes et la logique commerciale qui en découle. Puis les habitudes d'écoute des publics ont été modifiées avec l'usage des magnétoscopes et la location de vidéocassettes. Aujourd'hui, ces pratiques sont à nouveau modifiées avec l'avènement du web. Peut-on se questionner sur la pertinence d'une offre aussi abondante de canaux spécialisés? À qui profite véritablement cette offre, aux publics ou à la logique commerciale?
    1. Avenir des émissions d'affaires publiques au Québec

Dans sa nouvelle politique réglementaire sur la télévision, le CRTC adopte des décisions qui pourraient nuire à l'avenir de la télévision traditionnelle. En effet, ''la FNC constate que le Conseil privilégie une approche où la télévision (linéaire ou non) choisira des productions populaires favorisant les cotes d'écoute, et laissera dans l'ombre les genres traditionnellement associés à la culture de tout acabit.'' (Des choix qui nuisent à l'avenir de la télé traditionnelle, Fédération nationale des communications, ( FNC-CSN) 20 mars 2015)


De plus, le CRTC accorde dorénavant aux diffuseurs le droit de diffuser le ''genre'' d'émissions qu'ils veulent. En ce sens qu'il n'y aura plus de normes établies en ce qui concerne le type d'émissions que les télévisions généralistes doivent programmer. ''Cela risque fort de faire en sorte que toutes les télévisions finissent par se ressembler, et que certains types d'émissions, comme la culture, les arts, les documentaires ou les affaires publiques disparaissent de l'écran. '' (Des choix qui nuisent à l'avenir de la télé traditionnelle, Fédération nationale des communications, ( FNC-CSN) 20 mars 2015)


En somme, le CRTC relâche ses normes en raison de la logique commerciale qui prend de plus en plus le dessus sur la logique de service public. Les publics ne sont plus au centre des préoccupations des programmateurs, on se soucie dorénavant des annonceurs en premier lieu. On a ainsi conditionné les publics à l'insipidité de l'offre télévisuelle. Un changement qui s'est opéré très lentement au fil des années, si bien qu'aujourd'hui on s'attend avant tout à être diverti par la télé.

Pour le volet informatif, le web s'avère dorénavant mieux adapté et permet aux publics de se forger une opinion libre grâce à la diversité des sources d'information. L'avenir de la télévision traditionnelle est donc menacé par l'appauvrissement de son offre, jouxté à la recrudescence des contenus web; de plus en plus riches et diversifiés.



Liste des documents consultés

  • Décision de radiodiffusion CRTC 2009-444, juillet 2009
  • Rapport Caplan, Sauvageau, 1986
  • Décision de radiodiffusion CRTC 2012-242, avril 2012
  • Quotas d'émissions: la décision du CRTC inquiète Hélène David , Étienne Fortin-Gauthier, La Presse Canadienne, 15 mars 2015
  • Décision de radiodiffusion CRTC 2013-263 et Ordonnances de radiodiffusion CRTC 2013-264, 28 mai 2013
  • http://entraide.ici.radio-canada.ca, Mathieu Durocher, novembre 2014
  • The Political Economy of the Mass Media , Herman, Chomsky, 1988
  • Deux autres clubs Vidéotron ferment leurs portes à Québec, Jean-Michel Genois-Gagnon, Le Soleil, 25 janvier 2015

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